Quatrième de couverture : Pourquoi se contenter de lire pour le plaisir, quand on pourrait vraiment jouir de ses lectures ? Apprendre à nommer ses plaisirs, à les reconnaitre, à les trouver, à les analyser et à en chercher d’autres, tel est le but de ce joyeux manifeste pour des jouissances de lecture toujours renouvelées.

Un texte engagé dans lequel Clémentine Beauvais fait de l’éducation au plaisir de lire un véritable enjeu de société.

Quelques mots sur l’autrice (DLM Jeunesse) : Clémentine Beauvais est autrice, traductrice et enseignante-chercheuse. Elle a écrit, entre autres, Les Petites ReinesSonge à la douceur et l’essai sur la littérature jeunesse Écrire comme une abeille. Elle est également la marraine des Petits Champions de la Lecture et chronique ses lectures sur @clementinebleue

Note : La collection ALT des éditions de La Martinière Jeunesse propose de courts essais engagés et percutants pour les 15-25 ans.

 

Avis : Avec un titre pareil, Clémentine Beauvais ne pouvait qu’accrocher le regard et attiser la curiosité. Après une courte introduction malicieuse servant à établir un parallèle avec la sexualité, l’autrice file la métaphore d’un bout à l’autre et questionne : Pourquoi ne s’éduquerait-on pas au plaisir de la lecture comme on s’éduque au plaisir charnel ? Est-ce qu’il y a des plaisirs plus vertueux que d’autres ? Faut-il se vautrer dans les classiques pour être un « vrai » lecteur ? N’est-il pas temps de se réapproprier le concept de « masturbation intellectuelle » plutôt que de continuer à le voir utilisé comme une forme de dénigrement de l’autre ?

Pour cela, elle invite à devenir actif·ve dans notre quête de plaisir. Première étape : déconstruire les poncifs et mettre tout le monde au même niveau. Il n’y a pas de mauvaise lecture, il n’y a que de la lecture. Deuxième étape : identifier les livres, les genres qui nous apportent du plaisir. Troisième étape : apprendre à analyser pourquoi ils nous en procurent et mettre des mots sur nos ressentis (se référer aux pages 14 à 17 pour débroussailler le terrain). Quatrième étape : s’émanciper et ne jamais cesser de nous questionner sur nos goûts qui changeront probablement tout au long de notre vie.

Cet ouvrage ne s’adresse pas qu’aux 15-25, mais à toutes celles et ceux qui lisent et prescrivent les livres, quel que soit leur âge. Car plus tôt on est questionné·e sur nos ressentis, plus tôt on devient un lecteur ou une lectrice éveillé·e.

À noter que ce petit livre fascicule est un plaisir de lecture à part entière puisqu’il parle d’un sujet qui m’est cher et que je pratique. Je me suis sentie en profonde communion invisible avec l’autrice le temps de lire ces 30 pages. Ô combien elle a raison de nous demander de nous interroger sur notre rapport à la lecture à une époque où le livre est devenu un produit de consommation de masse comme un autre. Souhaite-t-on cultiver notre individualité à travers nos choix de lectures ou veut-on finir comme les foules en liesse du Rire du grand blessé de Cécile Coulon dans lequel les lectures publiques orchestrées par la police de la pensée sont à la limite de l’orgie collective ?

 

Digression personnelle : Bien sûr, au fil des mots, j’ai eu envie de jouer le jeu et de répondre à la question : Comment est-ce que je jouis de la lecture ? Parce que, je n’ai pas le moindre doute là-dessus, je suis quelqu’un qui sait très bien jouir de ses lectures. Et pas que dans un genre. Avec le temps, je suis devenue éclectique et rien ne peut prédire vers quoi je serai attirée demain, pas même moi. 

Pour la petite histoire, je fais partie de ces lecteurs et lectrices qui auraient pu être dégoûté·e·s par les lectures imposées à l’école. De la 6e à la 1re, je n’en ai apprécié aucune. Clémentine Beauvais fait cette judicieuse remarque à la page 19, qui rejoint ma conclusion personnelle sur la question :

À l’école, on nous apprend à reconnaître les figures de style, à dire ce qu’elles cherchent à évoquer chez Le Lecteur, mais c’est si rare qu’on nous pose la question dans l’autre sens : Moi, Lectrice, qu’est-ce que je ressens, et quels endroits du texte créent ce ressenti ?

C’est exactement ce pour quoi j’ai détesté ces lectures scolaires. Sans pouvoir mettre les mots dessus à l’époque, autrement qu’en disant : « c’est n’importe quoi » en tout cas, j’ai ressenti une incompréhension profonde lors de l’étude de La Vénus d’Ille de Prosper Mérimée en classe de 4e. La professeure de français avait imposé une vision du texte qui ne correspondait pas du tout à ma perception de l’histoire et elle avait prêté des intentions à l’auteur qui me semblaient sorties de nulle part. C’est sans doute ce qui m’a poussée, presque 30 ans plus tard, à relire deux livres en particulier : le Mérimée précédemment cité et La Neige en deuil d’Henry Troyat. Avec mon regard d’adulte, j’ai pu redécouvrir ces deux textes et enfin les apprécier à ma façon. Je reste persuadée que le second n’était pas un bon choix pour des élèves de 13-14 ans. Ce qui a sauvé mon rapport au livre, c’est que je lisais beaucoup pour moi avant, pendant et après. J’ai même dévoré un certain nombre de classiques sans que cela ne soit jamais douloureux, puisqu’il s’agissait de lectures personnelles que rien ne venait parasiter.

Aujourd’hui, et depuis quelque temps déjà, je ne lis que ce que j’ai vraiment envie de lire. À de rares exceptions près, quand je lis « parce qu’il faut », c’est souvent pour le boulot et il n’est plus vraiment question de quête de plaisir, même si ça arrive bien entendu.

Avec le temps, j’ai même développé une sorte d’instinct de lecture que j’ai appris à écouter. Je lis parce qu’un livre m’appelle, me fait de l’œil, m’intrigue, parce que c’est son moment. Peu importe s’il ne va pas dans la direction que j’imaginais en le prenant dans l’étagère. Pour qu’une lecture devienne jouissive, il faut qu’elle trouve un écho en moi, qu’elle me questionne, qu’elle vienne répondre à des interrogations parfois inconscientes, qu’elle me fasse trébucher, qu’elle me malmène parfois, qu’elle me fasse grandir à sa façon, qu’elle m’ouvre de nouvelles portes, bref, qu’elle m’implique suffisamment pour qu’ensuite, j’aie envie d’en parler, de la prêter, de la faire acheter, que ça devienne un objet de partage dont je pourrai discuter avec d’autres.

Enfin, une de mes plus grandes jouissances littéraires à ce jour reste Le Goût de l’immortalité de Catherine Dufour. Ce livre me colle à la peau depuis que je l’ai lu en 2012. Pourquoi ? Parce que tout y est déstabilisant, jusqu’à sa ponctuation, parce que c’est une lecture ardue et exigeante, mais que ça vaut tellement la peine de s’accrocher et parce qu’il m’a prise par surprise de la première à la dernière ligne, alors que je l’avais choisi pour sa thématique. Oui, je me suis pris une claque avec ce livre. Tellement forte que je n’ai pas pu en faire une critique sur le moment et c’est un immense regret encore aujourd’hui. Alors que je chroniquais livres et films depuis déjà plus de 10 ans, là, j’ai été mise en échec : je n’ai pas su retranscrire en mots cette première impression. J’étais trop retournée, bouleversée, hébétée, et maintenant, c’est trop tard. Depuis, je ne cesse de le conseiller à des personnes que je sens prêtes et réceptives. Juste pour le plaisir de les voir se prendre une claque à leur tour. Ça rajoute à mon plaisir lié à ce livre 🙂

 


Informations sur les éditions :
Formats : fascicule et numérique
Éditeur : La Martinière Jeunesse
Sortie : 5 janvier 2024
32 pages
ISBN : 9791040116479 et 9791040116486
3,50 € et 2,99 €