Quatrième de couverture : « Nous étions mille cinq cents. La première fournée. Les mères pondeuses du futur de la Nation. L’espoir non pas d’une civilisation mourante, mais d’un régime fascistoïde qui a réussi à développer un programme de fertilisation eugéniste. »

Dans une France où la fertilité s’effondre et la majorité des naissances sont touchées par le syndrome de l’X fragile, Typhaine, élue par le très sélectif Programme expérimental de génoembryologie grâce à la position de son mari, accouche d’un garçon sain. Mais l’étonnante progression cognitive de son fils est bien vite aussi inquiétante que le contrôle dont font l’objet les mères, alors que le pays bascule dans la dictature…

 

Ce techno-cocon autoritaire, individualiste, dans lequel plus personne ne bougeait de peur de perdre le confort acquis, où la solidarité n’était qu’un vieux souvenir, et où la vie avait cédé la place à la survie et à la peur de l’autre. (p. 88)

Ils avaient par la suite accumulé les lois répressives, le durcissement des condamnations, la multiplication des peines plancher, le rétablissement des travaux forcés, puis des camps de travail, la limitation puis l’interdiction de l’avortement ; tout un panel de sanctions et de coercitions qu’ils souhaitaient maintenant unifier dans une vaste réforme du Code pénal. Transformer le Code pénal en instrument juridique de répression et d’exécution massives et systématiques. Pour donner au totalitarisme les atours de la légalité. (p. 199)

 

Avis : Voilà, en deux citations, vous êtes dans l’ambiance de Fragile/s. Le contexte politique français s’est raffermi (ceci est un euphémisme) et toute ressemblance avec ce qui nous pend au nez n’est pas fortuite du tout (on appréciera les nombreux jeux de mots, le Président de la Nation en tête). Si écouter les infos vous donne déjà des angoisses, cette lecture ne va rien arranger. Vous pouvez d’ores et déjà vous dire que ce livre n’est pas pour vous et passer votre chemin. Vous pouvez aussi vouloir vous confronter à l’un de vos pires cauchemars : un pays qui a sombré dans l’autoritarisme et le tout sécuritaire, et qui tape sur tout ce qui dépasse. Les personnes racisées sont priées de migrer ailleurs, quitte à devoir attendre dans des centres de détention administrative pendant des années, et les femmes de participer au réarmement démographique. Bref, c’est pas la joie. Bien sûr, on pense à La Servante écarlate de Margaret Atwood, mais pas que. J’ai aussi été effleurée pendant ma lecture par Le Papier peint jaune de Charlotte Perkins Gilman, 10 jours dans un asile de Nelly Bly et Un bébé pour Rosemary d’Ira Levin. Une certaine idée de la folie.

Vous vous sentiez déjà un peu à l’étroit dans ce pays qui se tient sage, attendez de rentrer dans la peau de Typhaine. Attendez de rencontrer Nolan, son fils. Vous allez être en apnée. C’est un livre suffocant qui fait ressentir l’enfermement physique et mental. Comme un shoot d’anxiolytiques. Comme un coma. Comme une terreur nocturne. Typhaine est-elle parano ? Est-elle en danger ? Y a-t-il un complot ? Est-ce que ce bébé de l’enfer est l’Antéchrist ? On est en permanence sur un fil tendu entre la mère et le fils à se demande ce qu’il se passe. Fragile/s oscille sans arrêt entre thriller psychologique et horreur fantastique, mais la fin vient rappeler que c’est bel et bien un livre de SF qui tient la route. Tout s’explique et tout s’explique bien. Nicolas Martin n’a pas présenté La Méthode scientifique pendant six ans par hasard.

Sur la forme, le livre mérite aussi le détour parce qu’il y a une vraie originalité maîtrisée et surtout rare pour un premier livre. On semble partir sur un récit à la troisième personne focalisée sur Typhaine, puis viennent se glisser des pages de son journal qui lui permet d’échapper à la surveillance constante, des articles de presse, des rapports top secret, mais aussi des transcriptions de ce qu’enregistre Alix, l’équivalent envahissant d’une Alexa, Siri ou de l’assistant Google. Parfois, c’est un autre personnage qui prend la parole avec sa propre voix bien distincte. Par moments, la mise en page explose : pages qui se vident, pages avec un mot, pages avec des changements de taille et de famille de police, texte raturé… Tout ça joue à la fois sur le rythme de la lecture et sur son intensité. J’y reviens, mais ce livre ne serait pas aussi oppressant et ne rendrait pas aussi paranoïaque sans tout ce travail sur sa mise en forme.

Fragile/s est un livre viscéral qui malmène, mais quel livre ! Sur le fond et sur la forme, c’est un immense coup de cœur qui gratte longtemps sous la peau. Surtout en ce moment.


Informations sur l’édition :
Format broché
Éditeur : Au diable vauvert
Sortie : 22 août 2024
432 pages
ISBN : 979-10-307-0683-3
Prix : 21 €