Quatrième de couverture : Moyen-Âge. Les rats ont envahi la paisible bourgade d’Hamelin. Vous croyez connaître cette histoire ? Vous savez qu’un joueur de flûte va arriver, noyer les rats en musique, puis les enfants d’Hamelin ? Oubliez ces sornettes. La véritable histoire est bien pire, et c’est grâce à Mirella, une jeune fille de quinze ans, qu’on l’a enfin compris. Cette crève la-faim a un don ignoré de tous : elle voit ce que personne d’autre ne voit. Par exemple, elle a repéré cet homme en noir qui murmure à l’oreille de ceux qui vont mourir de la peste… Et ça lui donne une sacrée longueur d’avance. Y compris sur le plus célèbre dératiseur de tous les temps.

 

Comme je l’ai fait pour L’Île de Vincent Villeminot, j’ai eu envie d’analyser certains éléments de ce livre, dont la lecture a été un réel plaisir. Il est frais, original, militant, futé et plein d’autres adjectifs gratifiants.

Retour en trois points…

Le conte revisité : Il s’agit d’une réécriture du Joueur de flûte de Hamelin, dont la version des frères Grimm est sans doute la plus connue. Au cas où cela ne serait plus très frais dans tous les esprits, un rappel est fait au début. Et puis, c’est sans importance puisque Flore Vesco chamboule tout ensuite. On retrouve bien les rats, la peste, la flûte, la rivière, etc., mais le personnage central devient une héroïne à la trajectoire autrement plus complexe. L’autrice exploite l’idée que le conte (qui était de tradition orale, donc en mutation constante) est toujours revisité au fil du temps à travers le prisme de son époque. Rien d’étonnant donc à ce que, ici, la dureté des contes d’antan se mêle à la modernité des thématiques traitées (féminisme, émancipation, autodétermination, lutte des classes, dénonciation de l’obscurantisme…) Malgré tout ce sérieux et toute cette noirceur, le livre ne manque jamais l’humour, souvent assez sarcastique – si si, je vous assure, ce qui évite à l’histoire d’être démoralisante. Au contraire.

L’héroïne : Flore Vesco ne ménage ni Mirella ni son lectorat. Le début est dur. Il est tout de suite évident que Mirella évolue dans un monde qui ne lui laissera aucune chance et qu’elle en a bien conscience. Elle l’illustre elle-même très bien avec l’ordre du monde tel qu’elle le perçoit : « Dieu > l’empereur du Saint Empire germanique > les seigneurs > le bourgmestre > les échevins > les notables > les artisans > les commerçants > les chiens de garde > les femmes > les mendiants > Mirella > les enfants > les lépreux. » Dès les premiers chapitres, on voit Mirella esquiver les tentatives d’agressions sexuelles et les coups de bâton, et c’est son quotidien. Pour une lecture à partir de 11 ans, ça m’a paru un peu rude, car moins métaphorique que dans les contes. Cependant, Mirella est une jeune femme rusée et intelligente, qui ne s’en laisse pas conter et qui s’affirme de plus en plus au fil de l’histoire. Elle échange ses haillons contre de beaux vêtements, elle assume sa chevelure flamboyante et prend confiance en sa force intérieure et ses capacités. Elle s’associe également avec des gens qui voient qui elle est vraiment. Je n’en dis pas plus, mais c’est une belle démonstration d’empouvoirement qui fait chaud au cœur.

Le vocabulaire désuet : Le moins que l’on puisse dire, c’est que L’Estrange Malaventure de Mirella est un petit livre très ambitieux et un vrai pari. Il est rare de nos jours qu’un ouvrage s’adressant à un public aussi jeune soit aussi exigeant envers son lectorat. Même quelqu’un de chevronné aura besoin d’un temps d’adaptation pour entrer dans l’histoire. Concernant ce choix, Flore Vesco a indiqué en interview qu’elle n’est pas linguiste et qu’il ne s’agit donc pas de vieux français correct, sinon cela aurait vraiment été incompréhensible. Elle a créé un entre-deux en remplaçant certains de nos mots de tous les jours par leurs équivalents moyenâgeux tout en conservant certains points de grammaire et de conjugaison qui nous sont familiers. L’illusion fonctionne puisque l’on comprend tout en étant transporté·e dans le passé. Elle précise également qu’elle a conscience d’avoir deux types de lecteurices en face d’elle : celles et ceux qui contournent en s’appuyant sur le contexte et profitent pleinement de l’histoire et ceux et celles qui butent et laissent tomber.

J’ai trouvé ce style savoureux et il rend la lecture très ludique, une fois les premiers chapitres passés. Je vous conseille de vous accrocher, d’une part parce que ça fait du bien de lire des textes qui donnent un peu de fil à retordre de temps en temps et d’autre part, parce que l’histoire en vaut vraiment la peine.

 

Note : Une partie des informations de cet article provient des interviews de l’autrice disponibles dans le MOOC sur la littérature de jeunesse proposé par l’université de Liège.
Par curiosité, je vous invite à écouter le passage sur Perrault dans le premier épisode de la série de podcasts Il était une fois… la littérature de jeunesse diffusée sur France Culture en novembre 2023. La remise en contexte est pour le moins instructive et explique par exemple pourquoi il est question d’infante dans Peau d’Âne.

 


Informations sur les éditions :
Formats broché et poche
Éditeur : l’école des loisirs
Sorties : 17 avril 2019 et 3 mars 2021
224 pages et 304 pages
ISBN : 978-2211301558 et 978-2211312813
Prix : 15,50 € et 8,50 €
Disponible en numérique : 6,99 €