Quatrième de couverture : C’est une histoire magistrale racontée par la mauvaise personne.
June Hayward et Athena Liu ont étudié ensemble à Yale, ont déménagé à Washington après avoir obtenu leur diplôme et sont toutes les deux écrivaines, mais les similitudes s’arrêtent là. Athena est une étoile montante de la littérature, et June n’est personne. Après tout, qui s’intéresse de nos jours aux histoires d’une fille blanche aussi banale qu’elle ?

Lorsqu’elle assiste à la mort d’Athena dans un accident invraisemblable, June agit donc sans réfléchir et vole le manuscrit que son amie et rivale vient de terminer – un roman sur les contributions méconnues du corps des travailleurs chinois pendant la Première Guerre mondiale. Et si June corrigeait le récit et l’envoyait à son agent comme s’il s’agissait de son propre travail ? Et si elle adoptait le nom de Juniper Song et jouait sur l’ambiguïté de son origine ethnique ? Quelle qu’en soit l’autrice, ce morceau d’histoire ne mérite-t-il pas d’être raconté ?

Mais June ne peut échapper à l’ombre d’Athena, et des révélations menacent de faire s’écrouler son succès volé. Jusqu’où sera-t-elle prête à aller pour protéger son secret ?

 

Avis :  Yellowface semble n’être qu’un simple thriller qui se déroule dans le milieu littéraire, mais il est en fait bien plus que cela. Ce qui n’est pas dit sur la quatrième de couverture, c’est qu’il s’agit d’une plongée dans le monde de l’édition aux États-Unis, ou de l’industrie du livre, devrais-je plutôt dire.

L’histoire de June, qui passe de l’ombre à la lumière du jour au lendemain, donne l’occasion d’en apprendre plus sur le rôle des agent·e·s littéraires, des enchères, de l’écriture sous licence et des petites citations d’écrivain·e·s sur les couvertures. D’ailleurs, combien de personnes ont acheté Yellowface parce qu’il y a cette recommandation de Stephen King dessus ?

Les agent·e·s littéraires et le système d’enchères ont de quoi faire rêver. Imaginez : non seulement quelqu’un se charge des négociations avec la maison d’édition à votre place, mais en plus, les maisons d’édition se battent entre elles pour acquérir votre manuscrit. Agent est un métier qui a encore du mal à s’imposer en France pour une raison simple : il y a un rapport de force entre auteur·rice·s et maisons d’édition qui est en faveur des maisons d’édition actuellement. Elles ont donc tout intérêt à ne pas jouer le jeu. Cet intermédiaire a pourtant beaucoup à apporter selon moi. #teamauteurice

La lecture de Yellowface est aussi l’occasion de se glisser dans la peau d’une autrice qui s’expose sur les réseaux sociaux pour le meilleur et pour le pire. June passe par toutes les étapes : la reconnaissance, l’addiction aux interactions qui lui donnent l’impression d’exister et la violence aveugle qui se déchaîne au moindre faux pas. Se pose d’ailleurs la question de savoir si Athena aurait été attaquée sur ses erreurs factuelles alors qu’elle avait la bonne couleur de peau et plus de légitimité, tout en étant malgré tout déconnectée de ses racines, donc aussi une étrangère à l’histoire qu’elle raconte.

Car oui, il est question d’appropriation culturelle et de lecture sensible, de ce que l’on peut écrire ou pas en fonction de qui on est et d’où l’on vient. Là où R.F. Kuang se montre maligne, c’est que le livre est écrit par une autrice sino-américaine qui se met dans la peau d’une autrice blanche qui elle-même se fait passer pour une autrice avec une ascendance asiatique.

Ce livre permet aussi de se rendre compte de l’orientation que peut donner l’éditeur·rice à une histoire en fonction du marché visé. Le livre de June n’a plus rien à voir avec le premier jet d’Athena et on ne peut douter un instant du fait que le livre aurait été bien différent si Athena n’était pas morte et si elle avait choisi une autre maison d’édition. De l’importance de bien se renseigner sur la ligne éditoriale des maisons d’édition auxquelles vous soumettez vos manuscrits et de vous interroger sur ce que vous êtes prêt·e·s à faire pour être publié·e·s.

Pour en revenir à l’histoire et conclure cet avis, j’ai trouvé qu’il commençait à y avoir des longueurs dès que R.F. Kuang ne parle plus du milieu de l’édition. Elle se perd un peu trop dans les fausses pistes, les pistes probables et les pistes abandonnées pour en prendre une dans le lot qui, finalement, n’était peut-être pas la plus satisfaisante. Je ne peux bien évidemment pas en dire plus, juste que la résolution m’a laissée un peu froide, surtout après avoir été amenée à imaginer des fins assez dingues.

Bien sûr, vu le comportement de June, on s’attend à un retour de bâton à un moment ou à un autre. Ce qui provoque un mélange d’émotions contradictoires à l’égard de cette antihéroïne, qui est en plus un très bel exemple de narrateur non fiable. On veut la détester pour ce qu’elle a osé faire et on espère une punition à la hauteur, tout en la plaignant quand le déferlement de violence des réseaux sociaux lui tombe dessus. Il y a un tiraillement permanent entre vouloir une morale bien morale à l’histoire et espérer une fin immorale où elle pourrait s’en sortir. Ce qui est un sentiment assez intéressant.

Pour ce qui est de l’écriture, la traduction ne pêche pas, mais le matériau d’origine n’est pas extraordinaire non plus. C’est fluide, et c’est tout. Le plaisir des mots n’est pas au rendez-vous, n’en attendez donc pas trop de ce côté-là.

Si le milieu de l’édition américain vous intrigue, lisez Yellowface, c’est vraiment la partie la plus intéressante du livre. Si vous n’êtes pas trop difficiles en termes de thriller, sans doute passerez-vous aussi un bon moment. Dans le même genre, vous pouvez jeter un œil au livre d’Antoine Laurain : Le Service des manuscrits et, si vous voulez rire, à Et si c’était niais ? de Pascal Fioretto.

 


Informations sur l’édition :
Format broché
Éditeur : Ellipsis
Sortie : 2 mai 2024
352 pages
ISBN : 978-2-38562-014-1
Prix : 18,90 €
Disponible en relié et numérique